Dans le cadre de la série d’événements intitulée de la virtualité, la Communauté de pratique sur la place et la posture de la littérature québécoise en ligne dont Rhizome est l’instigateur articule ses réflexions et ses actions autour de cinq grands chantiers : la création, la reconnaissance, la découvrabilité, la pérennisation ainsi que la littératie numérique.

Pour le chantier Découvrabilité, les membres de la communauté de pratique ont invité Lëa-Kim Châteauneuf, présidente de Wikimédia Canada et bibliothécaire professionnelle à la Direction des Bibliothèques de Montréal, à produire un essai sur le sujet. Ce texte fait ainsi office de point de départ d’une discussion en visioconférence (et diffusée en direct sur Facebook Live) entre les membres, le grand public et l’autrice.


PAR LËA-KIM CHÂTEAUNEUF

ATTENTION : À la manière d’un article Wikipédia, ce texte comporte de nombreux hyperliens qui, s’ils ne sont pas utilisés avec modération, risquent de vous égarer dans votre lecture. Il vaut mieux utiliser ces hyperliens avec sobriété, quitte à refaire une seconde lecture pour les explorer.

Quelques définitions importantes

Découvrabilité : La découvrabilité d’un contenu dans l’environnement numérique se réfère à sa disponibilité en ligne et à sa capacité à être repéré parmi un vaste ensemble d’autres contenus, notamment par une personne qui n’en faisait pas précisément la recherche.

Métadonnée : Une métadonnée est une donnée servant à définir ou décrire une autre donnée. Elles sont à la base des techniques du Web sémantique.

Ontologie : Une ontologie est l’ensemble structuré des termes et concepts représentant le sens d’un domaine donné, que ce soit par les métadonnées ou les relations entre ces termes et concepts. Cela permet de modéliser un ensemble de connaissances du domaine en question.

Recommandation algorithmique : La recommandation faite sur la base d’algorithmes est une recommandation qui favorise la prise de décision automatisée sur certaines plateformes, et ce sur la base des habitudes de consommation de l’utilisateur. Ces algorithmes peuvent être codés par l’humain, mais sont de plus en plus créés grâce à l’apprentissage automatique.

Référencement : Le référencement consiste à améliorer le positionnement et la visibilité de sites dans des pages de résultats de moteurs de recherche ou d’annuaires selon deux stratégies distinctes et complémentaires : le référencement organique et le référencement payant.

Repérabilité : La repérabilité (ou trouvabilité) est la capacité du contenu à être repéré dans un site Web ou plus largement sur le Web.

Dans cet essai, nous allons tenter d’imaginer comment les projets et les outils du mouvement Wikimédia, dont fait partie Wikipédia, peuvent améliorer le rayonnement et la découvrabilité de la littérature québécoise.

Petite intro à Wikipédia

Tout d’abord, rappelons que Wikipédia est une encyclopédie libre, ouverte, gratuite et sans publicité à laquelle n’importe qui peut contribuer, même de façon anonyme. Cette notion de contribution ouverte et anonyme choque encore aujourd’hui. C’est pourquoi nous allons préciser quelques éléments avant de nous lancer dans une analyse plus poussée de la découvrabilité.

Cette année, l’encyclopédie fête son 20e anniversaire d’existence alors qu’à ses débuts, plusieurs annonçaient sa mort prochaine. Bien que son modèle encyclopédique diffère énormément des encyclopédies classiques, Wikipédia a réussi à démontrer qu’un projet où l’expert n’a pas plus d’autorité qu’un contributeur anonyme pouvait fonctionner1. Sur la base de seulement cinq principes fondateurs2, ce projet un peu fou s’est hissé parmi les sites les plus consultés au monde et a détrôné les encyclopédies les plus populaires de l’époque, Britannica et Universalis, qui ont cessé l’impression papier en 2012 et représentent aujourd’hui moins de 1 % des consultations d’encyclopédies en ligne ainsi qu’Encarta de Microsoft qui a complètement cessé ses activités en 20093.

Depuis 20 ans, bien des choses ont changé. La perception de l’encyclopédie n’est plus la même, mais la portée de celle-ci est également bien différente. Alors que pendant ses premières années l’encyclopédie était boudée par les milieux universitaires et malmenée par les médias, elle a depuis acquis une solide réputation et fait maintenant partie du quotidien de millions d’utilisateurs qui la consultent chaque jour, parfois sans même le savoir4. Des professionnels issus de milieux qui remettaient en question sa qualité (enseignement, médias, sciences de l’information) sont aujourd’hui de fidèles collaborateurs et contribuent à améliorer la qualité de l’encyclopédie5. Wikipédia est aussi utilisée à des fins pédagogiques et certains professeurs demandent à leurs étudiants d’y contribuer afin de mieux comprendre la valeur d’un travail encyclopédique bien sourcé et bien rédigé6. Ce faisant, les étudiants se joignent à toute une communauté de contributeurs, appelons-les des wikipédistes7, qui travaillent bénévolement à continuellement améliorer l’encyclopédie. Une page Wikipédia n’est que la pointe de l’iceberg du travail colossal qui est réalisé en arrière-plan et qui implique bien des échanges et discussions entre les membres de la communauté. Pour chaque page Wikipédia en français, on évalue à un peu plus de 5 pages de discussion et redirections qui sont « cachées » du lecteur8. Ce sont donc plus de 80 % des pages de Wikipédia, créées et alimentées par les wikipédistes, qui ne sont pas visibles lorsqu’on la consulte.

Wikipédia
photo : Wikimedia Foundation

La communauté d’abord et avant tout

Comme mentionné précédemment, n’importe qui peut contribuer à Wikipédia, même de façon anonyme. Cela ne veut pas dire qu’on peut y écrire n’importe quoi. Lorsqu’on contribue anonymement, notre liberté n’est pas la même que si nous sommes une personne qui contribue avec un compte enregistré. Ainsi, les rôles et responsabilités varient selon le niveau de contribution et l’énergie que l’on veut bien mettre à notre contribution. Des administrateurs, des bureaucrates ou des arbitres ont des pouvoirs et des responsabilités qui vont au-delà de la contribution; ils peuvent supprimer une page, bloquer un contributeur malicieux, faire cesser une guerre d’édition ou donner des accès supplémentaires à un wikipédiste qui en fait la demande. Cette communauté wikipédienne est donc celle qui fait vivre l’encyclopédie sur la base de discussions, de votes et de contributions. Elle effectue un travail collectif selon les intérêts des individus qui la compose et il est essentiel d’atteindre une plus grande diversité de wikipédistes si nous voulons améliorer la diversité des sujets développés.

Atelier Wikipédia portant sur le Groupe Intervention Vidéo (GIV)
photo : Lëa-Kim Châteauneuf, 2019

En ce moment, 41 % des articles de qualité reliés au Projet:Québec portent sur le hockey. Un article de qualité est le plus haut niveau de qualité que peut atteindre un article Wikipédia. Et pourquoi plus de 40 % de ces articles portent sur le hockey? Simplement parce que le portrait des wikipédistes n’est pas assez varié pour se refléter sur les sujets qui sont les plus développés. Combien d’articles de qualité (1er niveau de qualité) ou de bons articles (2e niveau de qualité) ont un lien avec la littérature québécoise? Un seul, celui d’Émile Nelligan. Cet article est d’une qualité exceptionnelle et d’autres auteurs québécois mériteraient certainement ce même traitement. Cela démontre l’importance d’ajouter plus de wikipédistes venant de différents horizons à cette communauté qui ne pourra que gagner à diversifier ses membres. C’est cette communauté qui, lorsqu’on sait l’allumer, peut aider à améliorer le référencement et la découvrabilité des sujets qui nous importent.

Le rayonnement du contenu culturel

La découvrabilité en culture n’est pas qu’importante, elle devient une nécessité de premier plan à une époque où les habitudes de consommation en ligne font en sorte qu’il y a une surabondance d’information culturelle provenant de partout à travers le monde9. Cette offre culturelle est souvent dirigée vers nous sur la base d’algorithmes censés nous définir. Mais alors, comment faire pour assurer une place de choix aux contenus qui nous sont chers dans un univers où les contenus étrangers sont en surabondance?

Dans une approche plus classique du rayonnement de la littérature, la charge revient à l’éditeur puis à l’auteur de faire connaître tant les œuvres que les personnes qui y sont rattachées. En s’assurant que la diffusion et la distribution sont bien faites, l’éditeur voudra probablement que la promotion des livres soit faite en librairie ainsi que sur leurs sites Web. La promotion se fera également lors du lancement, lors de la visite de certains salons du livre, lors de rencontres d’auteurs et à travers de la publicité ciblée et des campagnes à plus grande échelle comme J’achète un livre québécois, Je lis québécois ou On fait de grands livres au Québec. Les relations de presse peuvent également contribuer à faire connaître les œuvres et les auteurs qui, s’ils ont de la chance, seront invités à des émissions culturelles ou pourront voir publiée une critique de leur œuvre dans une revue, un journal ou en ligne. Finalement, les remises de prix littéraires attisent l’intérêt des médias et génèrent de la diffusion et des achats. Ces étapes font partie de ce que l’agence spécialisée en découvrabilité numérique LaCogency a identifié comme faisant partie des actions dirigées vers des personnes, actions dont les bienfaits pour la découvrabilité ne se font voir qu’à court terme10.

Sur le Web, le travail fait jusqu’à ce jour au Québec ne permet peut-être pas une si grande découvrabilité, du moins pas pour tous. Les sites Renaud-Bray et Les Libraires semblent bien référencés et si l’on recherche le titre d’un ouvrage ou son auteur dans un moteur de recherche comme Google, ces deux sites ont de fortes chances d’être parmi les premiers résultats. Est-ce un référencement organique ou payant? Probablement le premier plus que le second, mais comme l’information y est relativement bien structurée et surtout que ce sont probablement les sites les plus consultés par les Québécois pour rechercher un livre en librairie, les moteurs de recherche récupèrent l’information disponible pour nous la resservir via leur interface. C’est bien, mais limité comme informations disponibles, puisqu’elle s’en tient à l’essentiel pour vendre un livre. Et surtout, ces informations, titres, auteurs et éditeurs, se retrouvent encarcanées dans des catalogues qui ne peuvent être mis en relation avec aucune autre base de connaissance. L’information qui est présentée est donc facilement repérable, mais peut-être pas facilement découvrable. En ce moment, l’industrie du livre est relativement bien protégée grâce à des remparts comme la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre (souvent appelée Loi du livre ou Loi 51), mais les recommandations en ligne, les contenus relatifs à la littérature ou même les livres numériques risquent de rapidement tomber entre les mains des GAFAM et les quelque 55 % de part de marché pour le livre québécois pourraient être mis en danger11.

GAFAM
© photo : dynamique-mag.com, 25 octobre 2019

La culture bouleversée par le numérique

Alors que la crise sanitaire liée à la Covid-19 a des impacts partout à travers le monde et dans presque tous les secteurs, la culture s’en trouve affectée à différents niveaux. Les ventes de livres aux particuliers étaient déjà un peu à la baisse avant la pandémie (diminution de 12,0 M$ entre 2014 et 2018) tandis que les dépenses reliées à la consommation de contenu en ligne comme la vidéo sur demande ou l’écoute musicale en continu sont, elles, à la hausse (+43,8 % et +16,6 % respectivement entre 2017 et 2018)12. Considérant que dans les 15 dernières années la diminution de vente de livres aux particuliers est plus grande, on pourrait en venir à la conclusion que les Québécois auraient tendance à « préférer consacrer temps et argent à d’autres types de produits de loisir »13. Comme les habitudes des Québécois pour ce qui concerne leur consommation reliée à la culture semblent se faire plus souvent qu’auparavant sur le Web, il va de soi que la littérature québécoise doit également faire sa place. Cela ne veut pas dire la dématérialisation du livre et tout miser sur le livre numérique, mais peut-être simplement améliorer la diffusion des contenus relatifs au livre et les rendre plus repérables sur le Web. Comme une grande part de la diffusion du livre se faisait en personne, par l’entremise des rencontres d’auteurs, des salons du livre, des heures du conte et des présences médiatiques, en temps de pandémie il a fallu s’ajuster aux réalités du « tout en ligne ». Certains salons du livre ont tenté le coup de faire une édition virtuelle, des auteurs ont fait leur lancement en Facebook Live et des rencontres d’auteurs virtuelles ont remplacé les rencontres habituelles. Ces tentatives d’améliorer la présence littéraire en ligne sont de beaux exemples d’initiatives qui améliorent un peu la diversité des contenus littéraires repérables en ligne, mais si peu qu’il faut parfois chercher longtemps avant de repérer l’information ou le contenu recherché.

Les projets phares de Wikimédia

Revenons à la question que nous nous sommes posée plus tôt. Comment faire pour assurer une meilleure découvrabilité aux contenus qui nous tiennent à cœur?

Wikimedia
photo : Wikimedia Foundation

Depuis déjà quelques années, des institutions et des citoyens ont travaillé à améliorer la découvrabilité de contenu culturel québécois sur les plateformes Wikimédia. Avant de citer quelques exemples, il convient de présenter brièvement les projets phares de Wikimédia qui servent à améliorer la découvrabilité des contenus qui y sont présents. Le premier, et celui qui a déjà été présenté, est Wikipédia, l’encyclopédie la plus consultée dans le monde. Cette dernière contient de l’information qui est très souvent utilisée par les GAFAM. La structure type d’un article sur Wikipédia fait en sorte qu’il débute généralement par un résumé introductif. C’est ce résumé qui se retrouve souvent dans les Knowledge Graphs d’une page de résultats Google ou DuckDuckGo. Ces boîtes qui apparaissent de plus en plus souvent à la droite des listes de résultats de moteurs de recherche sont appelées « moteur de réponse » puisqu’elles cherchent à fournir des réponses précises plutôt que des listes de liens où l’information pourrait se trouver. Comment Wikimédia contribue-t-elle avec les GAFAM pour alimenter ces boîtes? D’aucune façon. Comme l’information générée par les projets Wikimédia est sous licences libres (Creative Commons allant de CC0 à CC BY-SA), les grands joueurs du Web peuvent s’en servir sans limites, même à des fins commerciales. Alors qu’on pourrait y voir de l’abus de la part de multinationales qui se servent dans le pot de miel collectif auquel ils n’ont pas activement contribué, il faut savoir que cette grande accessibilité à l’information est bénéfique pour tous. Oui, les GAFAM s’en servent sans trop de gêne et en profitent, mais l’utilisation de licences ouvertes et libres permet aussi un usage simplifié pour les individus, les institutions, les PME ou les startups.

Le deuxième projet est Wikimédia Commons, la grande médiathèque qui alimente tous les autres projets. Une photographie qui y est versée pourra se retrouver sur Wikipédia, mais pas impérativement. Cette photographie pourrait servir à illustrer un article qui n’existe pas encore ou être utilisée dans des projets comme Wikivoyage (grand guide de voyage en ligne, libre et collaboratif), sur Wikinews (site d’actualités relatant des nouvelles du monde entier), sur Wikiversité (regroupe des cours, des exercices et des manuels scolaires portant sur de très nombreux sujets) ou sur Wikidata, cette méta base de données libre et ouverte. Comme les contenus de Wikimédia Commons sont aussi sous licence libre, ils peuvent être utilisés, même à des fins commerciales. Il n’est donc pas rare de voir dans une revue, un journal ou une monographie des images tirées de Wikimédia Commons.

Le dernier projet d’importance, Wikidata, est celui qui a vraiment le vent dans les voiles en ce moment. Il s’agit d’une base de données qui rassemble tout ce qui peut être représenté sous forme de donnée. Wikidata permet ainsi de faire des liens inédits entre ces données afin de créer de nouveaux savoirs. En termes de découvrabilité, Wikidata est un grand buffet où peuvent se goinfrer sans vergogne les robots (bot informatique) bien dressés par les GAFAM. Ces robots, à la recherche d’informations structurées, gratuites et de qualité, puisent dans Wikidata près de 100 millions d’éléments qui contiennent tous plusieurs données structurées. Ces données nous sont ensuite servies par l’entremise des Knowledge Graphs, mais aussi par les assistants vocaux qui sont de plus en plus présents et utilisés14. Ces Alexa, Siri, Bixby et autres services de reconnaissance vocale deviennent des moteurs de réponse unique. Plutôt que d’offrir une multitude de sources de réponse à une question comme le fait un moteur de recherche textuel conventionnel, on nous offre une seule réponse.

Siri? En quelle année est née Laure Conan?
– Laure Conan est née en 1845.

Ok Google! Dis-moi où est né Wajdi Mouawad?
– Wajdi Mouawad est né à Deir-el-Qamar au Liban.

Ces informations très factuelles proviennent très souvent de Wikidata. Cela donne ainsi un grand pouvoir aux contributeurs. Lors d’un atelier Wikidata ayant eu lieu à Port-au-Prince en 2019, un formateur a demandé à son assistant vocal en quelle année était né le poète Frankétienne. L’assistant vocal n’avait pas la réponse. Un étudiant a alors inscrit la date de naissance de Frankétienne dans son élément Wikidata et le lendemain, l’exercice de demander la date de naissance à l’assistant vocal a été refait devant toute la classe. Cette fois, la réponse est venue aussitôt, à la stupéfaction de toute la classe. Un geste tout simple, ajouter une date de naissance, avait un effet direct sur l’accès à l’information puisque les GAFAM font du Web Scraping en continu afin d’avoir des données toujours à jour. Malgré l’opacité des pratiques de récolte de données de grands joueurs comme Google, le jeu (de données?) en vaut la chandelle.

Des projets québécois en découvrabilité

Des gestes comme ce dernier, de nombreux citoyens en ont posé, mais plusieurs institutions aussi. Prenons comme premier exemple la Cinémathèque québécoise. Celle-ci a versé une partie de son catalogue dans Wikidata, permettant ainsi de faire des liens entre son catalogue et les fiches d’environ 30 000 films. Ce sont 30 000 entrées qui peuvent être mises en relation avec toutes les autres données de Wikidata et qui pointent toutes dans une même direction, la Cinémathèque. Le Musée national des beaux-arts du Québec, sous l’initiative de l’archiviste Nathalie Thibault, a versé énormément d’informations et de données relatives aux collections sur Wikipédia et Wikidata, en plus de partager des données publiques portant sur 300 artistes à partir de leurs ressources documentaires. Le Musée a même intégré des biographies d’artistes de Wikipédia à leur catalogue en ligne, améliorant ainsi le référencement et la découvrabilité des artistes et collections. Lorsqu’on fait des liens entre notre site Web et des pages Wikipédia, on s’associe à un des plus grands joueurs du Web et cette association peut être payante en termes de référencement. En effet, la découvrabilité d’un contenu Web augmente aussi en fonction de la qualité de son référencement. Ainsi, plus une information présente sur le Web (page Web, photographie, donnée, etc.) fait usage de métadonnées descriptives bien développées, plus elle a de chances d’être découverte. Le Conseil québécois du théâtre en partenariat avec l’Association canadienne des organismes artistiques a récemment réalisé un projet d’une grande ampleur sur Wikidata afin d’améliorer l’ontologie relative aux arts de la scène15. En travaillant avec des contributeurs experts de Wikidata, le projet a permis la standardisation et la publication de métadonnées qui améliorent grandement la découvrabilité.

Mais le point commun à tous ces exemples que nous venons de présenter, c’est la communauté. En effet, ces projets n’auraient pas été possibles sans la présence et l’apport parfois considérable de passionnés qui, la plupart du temps, travaillent bénévolement afin d’assurer un meilleur rayonnement pour notre histoire et notre culture. Depuis 2013, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) offre de la formation aux citoyens afin d’en faire des wikipédistes aptes à améliorer les contenus dans différents projets Wikimédia. Plusieurs autres institutions nommées précédemment ont suivi la même route. Et tant qu’à former les citoyens, pourquoi ne pas former les professionnels, les cadres et les décideurs? C’est ce qu’a fait BAnQ en 2020 dans le cadre de la Grande Wikiphonie. Sous l’initiative de Jean-Benoît Nadeau et Julie Barlow, cette série de formations et de conférences rassemblait des participants de milieux très diversifiés et visait à mieux les outiller pour jouer un rôle plus actif dans le rayonnement des sujets propres à la francophonie. Il ne tient qu’au milieu littéraire d’investir ces outils, de fédérer la communauté et de mettre en place des ateliers ou des projets de contribution afin d’accomplir le travail d’améliorer la découvrabilité des sujets relatifs à la littérature québécoise. Si nous ne le faisons pas, d’autres vont le faire à notre place et ce n’est peut-être pas ceux que nous souhaiterions.

GLAM Cinémathèque québécoise
GLAM – Cinémathèque québécoise

Les cinq étapes pour se lancer dans Wikimédia

Les grands joueurs du Web, les GAFAM, sont devenus les nouveaux diffuseurs culturels et vont toujours chercher à diriger les consommateurs, sur la base d’algorithmes, vers les contenus qu’eux jugent les plus intéressants (lire ici les plus « rentables », les plus « payants »). Après tout, nous ne devrions jamais oublier que le Web est devenu l’espace le plus accessible à tous et que l’information qui s’y trouve peut également être comprise et assimilée par les robots des GAFAM qui auront vite fait de récupérer l’information et de la diffuser plus largement grâce à des algorithmes. En ce moment, la découvrabilité est très largement entre les mains des GAFAM, de nourrir alors les robots est probablement le meilleur moyen d’améliorer cette découvrabilité. Les interconnexions améliorent aussi la découvrabilité et sont un premier pas intéressant et efficace pour un plus grand rayonnement des contenus reliés à la littérature québécoise. Mais il faut impérativement dépasser la vision classique du Web où chacun travaille dans son coin, espérant être visible, et investir ce nouveau territoire qu’offrent les outils Wikimédia.

Les moyens pour améliorer la découvrabilité sont à portée de main. Il suffit de franchir quelques étapes pour lancer un chantier qui, avec quelques efforts, pourrait faire en sorte que la littérature québécoise occupe une place de choix dans l’univers des données libres, ouvertes et liées, un univers qui ne connaît pas de frontières, qu’elles soient politiques ou linguistiques.

Première étape : Se former aux outils et possibilités qu’offre Wikimédia tout en analysant ce que d’autres institutions et milieux ont déjà fait.

Deuxième étape : Choisir un projet dont l’idéation s’est idéalement faite avec les acteurs du milieu.

Troisième étape : S’assurer de la participation de quelques wikipédistes d’expérience.

Quatrième étape : Assurer l’uniformité des contenus à ajouter dans un projet Wikimédia (surtout s’il s’agit de données, elles doivent être harmonisées).

Cinquième étape : Verser les données ou les informations et créer des liens entre elles.

Voilà cinq étapes qui peuvent mener rapidement à des résultats intéressants dans le cadre d’un petit projet porté par une association, un éditeur ou même un individu. Nous pouvons penser à la création d’une base de données contenant les informations relatives à un éditeur (liste des ouvrages publiés avec les données qui leur sont relatives). L’idéal est de s’inspirer d’éléments Wikidata qui existent déjà comme le roman Histoire de Pi de Yann Martel par exemple. Nous y trouvons une foule d’informations que l’éditeur a en main et qui ne demandent qu’à être rendues publiques. Il ne reste qu’à se lancer pour exister en dehors des sites de librairies, d’éditeurs, de catalogues de bibliothèque ou de sites spécialisés. Un élément Wikidata comme celui d’Histoire de Pi fournit à lui seul de l’information pour 37 versions linguistiques de Wikipédia et permet d’améliorer la découvrabilité de l’œuvre à travers d’autres recherches en lien avec ces informations.

En 2021, être disponible en ligne, ce n’est que le niveau zéro d’une plus grande découvrabilité sur le Web. Il faut ensuite être repérable et pour ce faire, il faut être bien référencé. Les moteurs de recherche ont cette fâcheuse habitude de nous offrir en premier lieu ce qui est le plus consulté et le plus facile à trouver. Pour dépasser la simple présence et le référencement de base, il faut assurer une place de choix sur les projets Wikimédia, comme Wikipédia, Wikimédia Commons et Wikidata, à l’univers littéraire québécois afin de le faire rayonner et de lui donner une bien plus grande découvrabilité. ♦

1 Pauline Petit, « Fiabilité, pseudonymat, sources : Wikipédia et l’intelligence des foules », sur France Culture, 12 janvier 2021.


2 Wikipédia est une encyclopédie, elle vise la neutralité, elle est sous licence libre, on doit y faire preuve de savoir-vivre et le 5e principe fondateur est qu’il n’y a pas d’autres règles fixes.


3 (en) « Top Dictionaries And Encyclopedias Websites in the world | SimilarWeb », sur www.similarweb.com.


4 (en) The Economist, « Wikipedia is 20, and its reputation has never been higher », The Economist,‎ 9 janvier 2021 (ISSN 0013-0613, consulté le 11 janvier 2021).


5 Julien Lachapelle, « Le “wikipédiste” de l’UQAM », sur Montréal Campus, 27 avril 2019 (consulté le 4 janvier 2021).


6 Simon Villeneuve, Wikipédia en éducation, 2017, « Wikipédia, l’éléphant en éducation » sur fr.wikibooks.org (consulté le 11 janvier 2021).


7 On parle généralement de wikipédiens ou wikimédiens, mais wikipédistes est un terme plus inclusif bien que presque jamais utilisé par la communauté.


8 Wikipédia, « Statistiques des pages », Spécial:Statistiques,‎ 22 janvier 2021.


9 Michèle Rioux et Destiny Tchéhouali, « La convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture face aux enjeux et défis du numérique », Revue québécoise de droit international (Hors-série),‎ juin 2016, p.191.


10 Danielle Desjardins, « Au cœur de la découvrabilité : innover, créer et fidéliser les auditoires franco-canadiens à l’ère de l’abondance », sur FMC Veille, 22 octobre 2019 (consulté le 22 janvier 2021).


11 Vincent Brousseau-Pouliot, « Plus de Michel Tremblay et moins de Molière pour sauver l’industrie du livre québécois? », sur La Presse, 15 avril 2020.


12 Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Rapport de surveillance des communications 2019, Ottawa, CRTC, 2020, 349 p., p. 131.


13 Christine Routhier, « Optique culture : les ventes de livres en 2017 et 2018 », Observatoire de la Culture et des communications du Québec,‎ juin 2019, p. 11.


14 (en) Raji Ayinla, « 18 statistics to explain The Rise of Voice Assistants », sur Medium, 2 avril 2020 (consulté le 23 janvier 2021).


15 Joana Neto Costa et Véronique Marino, « Le projet Wikidata pour les arts de la scène c’est parti! – IANL », sur Un avenir numérique lié (ANL), 22 juin 2020.